Le Cerro Rico : reflet de l'intrication entre ressources naturelles, commerce international & géopolitique

Le Cerro Rico : reflet de l'intrication entre ressources naturelles, commerce international & géopolitique

Cet article est la suite du post précédent expliquant l'origine des "Grandes Découvertes" liée au commerce eurasiatique.

 

  1. La découverte du Cerro Rico

Dans la compétition économique et géopolitique du 16ème siècle, l'Espagne et le Portugal se partagent le monopole naissant des échanges commerciaux avec les territoires d'Asie, d'Afrique et d'Amérique depuis le Traité de Tordesillas (signé en 1494 entre les deux puissances émergentes et le Pape afin d'éviter des conflits directs).

Bien que le "Nouveau Monde" n’apporte pas à l’Empire espagnol les riches épices espérées lors de la signature du Traité, ce dernier y trouvera néanmoins des quantités faramineuses d’or et surtout d’argent qui stimuleront son économie et lui permettront de financer son expansion.

Après avoir successivement conquis l'Empire Aztèque en 1524 en Mésoamérique puis l'Empire Inca (qui résistera jusqu'en 1573), les espagnols trouvent une première mine en Amérique du Sud en 1538.

Sept ans plus tard, un berger égaré dans les montagnes avec ses lamas qui remarque des fils d'argent semblant flotter dans l'air, conséquence de la chaleur qui faisait fondre les métaux d'argent, permis aux Conquistadors de découvrir la riche mine de Potosi dans l'actuelle Bolivie.

La mine qui était auparavant vénérée par les autochtones comme une offrande aux dieux regorge en effet de métal blanc. L'exploitation par les Conquistadors de ce qu'on appellera le Cerro Rico (littéralement "la colline riche") permettra d’envoyer environ 150 tonnes d’or et 26,000 tonnes d’argent en Espagne uniquement au cours du 16ème siècle.

Cette quantité gigantesque de ressources à leur disposition induira "l'importation" par les espagnols de premiers esclaves africains sur ce territoire à partir de 1570.

La mine sera utilisée pendant près de 3 siècles par l'ancien Empire, jusqu'à l'indépendance de la Bolivie en 1825 et est encore active aujourd'hui.

 

2. Un impact majeur sur la géopolitique globale du 16ème siècle

Ces ressources permettent ainsi à l'Espagne sous le règne de l'Empereur Charles Quint puis de son fils Philippe II de financer leur politique et leurs campagnes militaires contre l'Empire Ottoman, le Royaume de France, ainsi que les rébellions dans les territoires espagnols en Europe du nord, actuellement la Belgique et les Pays-Bas : 

  • D'une part, dans le prolongement de la Reconquista, l'Empire espagnol se trouve engagé dans des affrontements avec les ottomans en Méditerranée pour le contrôle des côtes nord africaines.
  • D'autre part, le Royaume de France, entouré par des territoires dirigés par la dynastie des Habsbourg qui exerce sa domination sur l'Espagne, le Saint Empire Romain Germanique et en Europe du nord, est en conflit direct avec les espagnols, ce qui incitera François Ier à conclure une alliance avec l'Empire ottoman musulman.
  • Enfin, les guerres de religions entre catholiques et protestants en Europe à cette époque contribuent à la rébellion des protestants au nord du continent qui s’opposent à l’Espagne catholique depuis la Réforme. Après les répressions brutales de l'Empereur catholique d'Espagne Philippe II qui renforceront l'opposition, celle-ci finira par perdre le contrôle de ce qu’on appelait les "Pays-Bas espagnols".

Hormis le financement des conflits, l'argent en métal récolté par l'Espagne facilite ses échanges commerciaux avec l'Empire de Chine qui, à cette époque, n'accepte que le métal blanc comme moyen d'échanges, assurant les ambassadeurs et marchands étrangers qu'il dispose autrement de toutes les ressources nécessaires à son fonctionnement excepté l'argent métal qui est requis depuis une réforme interne pour faciliter le paiement des impôts par la population.

Le commerce avec l'Asie prenant de plus en plus d'ampleur, la possession d'argent devient ainsi un avantage stratégique pour développer les échanges avec le lointain et riche continent asiatique.

 

3. L'intérêt grandissant pour les grandes expéditions maritimes

Dans ce contexte de lutte entre territoires, religions et systèmes économiques, l’Angleterre fait quant à elle "pâle figure" au début 16ème siècle avec ses 5 à 6 millions d’habitants et le seul contrôle de la Manche à son actif.

Sur le plan économique, elle reste fragile puisque 75% de sa santé financière dépend du commerce du coton et du textile. De plus, elle est coupée des marchés européens de Bruges et d’Anvers, situés sur les territoires des Pays-bas sous souveraineté espagnole, un des principaux ennemis de la Couronne britannique.

Cette situation commerciale désavantageuse pour le Royaume protestant est aggravée par une conjoncture économique défavorable qui provoque l’effondrement du marché du drap en Flandres, impactant indirectement tous les fournisseurs dont il fait partie.

La Reine d’Angleterre, qui soutient le protestantisme, suspecte par ailleurs les catholiques et en premier lieu l’Empire d’Espagne de vouloir bannir le Royaume anglais du commerce d’Outre-mer.

Les portugais et espagnols qui se rendent régulièrement en Amérique du Sud gardent leur itinéraire secret afin de protéger leur monopole commercial. Les espagnols faussaient même certaines de leurs cartes, qui sont à l’époque très prisées, pour tromper les intrus qui s’en empareraient.

Confrontée enfin à des droits de douane qui lui sont imposés en Europe en raison de son insularité, l'Angleterre doit donc trouver de nouveaux débouchés commerciaux loin de sa zone d'influence.

Le Royaume décide donc de se tourner vers les mers pour rattraper son retard sur les deux Empires de la péninsule ibérique sans avoir à leur déclarer la guerre directement.

Pour cela, elle peut compter sur un pionnier qui a déjà trouvé une voie maritime permettant de relier l'Angleterre au Nouveau Monde.

 

4. L'ascension de Francis Drake et de la puissance maritime britannique

C’est dans ce contexte que Francis Drake, un corsaire britannique qui s’est déjà enrichi en étant parvenu à contourner le monopole espagnol dans les Caraïbes, est présenté à la Reine d’Angleterre.

Drake vend des esclaves venus d’Afrique en Amérique alors que seuls les espagnols sont à cette époque "autorisés" à le faire. Après s’être sorti in-extremis d’une attaque espagnole, il sillonne les Caraïbes pendant deux ans et pactise avec des pirates locaux et des esclaves en fuite contre les navires espagnols.

Grâce à ses expéditions, Francis Drake parvient à établir une route maritime régulière entre l’Angleterre et les Indes Occidentales (les Caraïbes actuelles) qui s’intègre in fine dans la stratégie de renforcement de la présence anglaise dans le commerce mondial.

Malgré l’illégalité de ces expéditions, Drake se voit donc officieusement attribuer par la Couronne britannique la mission de localiser des terres inoccupées afin d’y trouver des épices, plantes et autres matières susceptibles d’asseoir sa puissance.

Alors que les caisses du Royaume sont vides, ces produits et les potentiels trésors d’or et d’argent permettront non seulement de renforcer l'économie anglaise en remboursant sa dette extérieure mais lui fourniront aussi les moyens de créer une nouvelle flotte et de lever une armée à l’origine du futur Empire Britannique.

La première colonie viable sera établie au siècle suivant à Jamestown en 1607 sur la côte est actuelle des Etats-Unis. Après la colonisation des Bermudes et de Terre-Neuve, la fondation de Plymouth en 1620 dans le Massachusetts représentera le point de départ de la Nouvelle Angleterre sur le nouveau continent.

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