Introduction
Samarcande, une des plus vieilles villes du monde, a été inclue dans la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO grâce à ses chefs d’oeuvre architecturaux et archéologiques. Federic Mayor, ancien Directeur Général de l’UNESCO de 1987 à 1999 la décrivit ainsi :
« There are such names in the world, which unwillingly lead people to the world of dreams. The magic and fame of these names immediately impact your mind when you hear or read about them. There is such a name among them that attracts our imagination to itself, it is Samarkand. It seems that this name emerged from the whirlpool of clear and diverse colors, the scent of perfume, fabulous palaces, bells of caravans, pure melodies and yet misunderstood feelings… »
L'histoire pluri-millénaire de « la ville des coupoles bleues » est notamment liée à son positionnement stratégique dans les échanges reliant l’Asie, le Moyen-Orient et l’Europe à travers les « routes de la Soie ». A l’époque des voyages de Marco Polo au XIIIe siècle, Samarcande avait déjà plus de deux mille ans.
1. Sur les routes de la Soie
Selon la légende, la soie aurait été découverte par une princesse chinoise après qu’un cocon de chenille soit tombé dans sa tasse de thé. En voulant retirer le cocon, celle-ci aurait tiré sur le fil de manière continue. Au delà de la qualité du tissu qui fait perdurer l’utilisation des vêtements à l’échelle d’une vie, il paraît d’ailleurs que les Romains en raffolaient pour cette raison, la soie a aussi d’autres vertus comme un effet antiseptique. Elle est connue en Chine depuis le 1er millénaire avant J.C. et était un des principaux produits exportés par l’Empire Chinois vers l’Asie Centrale et jusqu’à l’Occident.
Etablie environ au IIe siècle av. J.C., la route de la Soie reliait ainsi la province chinoise de Xian à Venise par des relations commerciales sur une distance d’environ 12,000 km. Au fil des siècles, toutes les innovations que ce soit au niveau scientifique, technique ou culturel entre l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie circulaient à travers ces routes. Les caravansérails qui regroupaient une centaine de chameaux portant chacun 200 kg de marchandises parcouraient pour cela environ 30 km par jour.
En plus de leur capacité de porter des charges lourdes et de marcher sur le sable sans s’enfoncer, les chameaux sont les seuls animaux à pouvoir boire l’eau de mer, ce qui facilite leur hydratation. En fonction du terrain traversé, ils pouvaient parfois être échangés contre des ânes par exemple, du fait de la capacité de ces derniers à grimper dans les zones montagneuses le long du trajet.
Les villes où s’arrêtaient les marchands étaient souvent choisies du fait de leur proximité avec une rivière ou un point d’eau. Par exemple, le nom de la ville de Khiva, qui représentait un carrefour des routes de la soie dans l’actuel Ouzbékistan, vient du mot puit et signifie eau douce. De même, d’autres importants carrefours commerciaux comme Boukhara, étaient à l’origine une oasis dans le désert tandis que Samarcande est située entre les deux fleuves principaux de l’Asie Centrale dans l’oasis de la rivière Zeravchan.
Ces lieux permettaient à la fois aux caravaniers de se restaurer mais aussi d’échanger des marchandises. A Samarcande, un appel était effectué une fois par mois sur une des grandes places publiques pour prévenir les marchands qui souhaitaient exporter leurs biens du passage mensuel d’un caravansérail. Les marchands locaux prenaient leur décision en fonction de la destination de ce dernier. En effet, plus les marchandises étaient vendues tôt sur le parcours plus l’opération pouvait être rentable, d’une part du fait de la baisse du coût de transport mais aussi de la taxe prélevée lors du passage des frontières.
Cela diminuait par ailleurs le risque d’attaque bien que les caravaniers et leurs richesses matérielles étaient protégées par des gardes armés. Ces risques étaient très élevés pour les caravaniers eux-mêmes puisque l’être humain représentait à cette époque la plus grande valeur « marchande » à cause de l’esclavage.
Les caravansérails utilisaient des cartes astronomiques pour se diriger, connaissaient la localisation des points d’eau et s’appuyaient aussi sur des éclaireurs pour éviter les potentiels brigandages. La localisation stratégique des villes commerçantes situées le long des routes de la soie, qui est souvent à l’origine de leur richesse et de leur prospérité, a ainsi attiré de nombreux conquérants au cours de l’histoire.
Les fouilles archéologiques ont permis d’identifier la présence de pas moins de 11 civilisations à Samarcande, notamment celle des Perses, des Grecs, des Turcs, des Chinois, des Arabes et des Mongols. Alors que la région sera plus tard conquise par l’Empire Russe, attiré notamment par ses ressources en coton, elle sera intégrée à l’actuel Ouzbékistan au début du XXe siècle après la révolution bolchévique.
2. Onze civilisations
Lors de son passage, Alexandre Le Grand aurait dit : « Tout ce que j’ai entendu sur Samarcande est vrai, sauf que c’est encore plus beau que ce que j’en pensais ». Plus généralement, dans l’Ouzbékistan actuel, 4 villes principales ont été marquées par l’histoire de précédentes civilisations : l’ancien Khorezm, Khiva, Boukhara et Samarcande.
Les Khorezmiens ont contrôlé durant des siècles les itinéraires commerciaux dans la nord de la Grande route de la Soie. A partir des XII-XIVe siècle, en raison de changements écologiques tragiques, liés au rythme de l’Aral et de l’Amou-Darya, l’ancien système d’approvisionnement en eau deviendra progressivement hors d’usage et, les canaux étant asséchés, les habitants quitteront progressivement la ville tandis que l’oasis sera consumée par le désert. Khiva prendra la succession de l’ancienne culture de Khorezm.
Boukhara est quant à elle une ville commerciale importante au Moyen-Age accueillant les marchands venus de toutes les régions d’Asie Centrale, d’Iran, d’Inde, de Russie et de Chine. Une multitude de caravansérail et de places commerciales y existaient tandis que chaque rue était spécialisée dans la vente d’un produit précis. C’est aussi à Boukhara que les éminentes personnalités religieuses prêchaient leurs sermons, telles que l’imam Al-Bukhari.
Concernant Samarcande, « Samarà » en sanscrit et « hamar » en persan signifie « la place de l’assemblement, de la rencontre ». Dans le passé, Samarcande pourrait être la place élue, où les prêtres, les chefs et les anciens des tribus se réunissaient pour accomplir les cérémonies religieuses, prendre des décisions pour la guerre ou la paix.
Témoin de son importance historique et stratégique, la ville de Samarcande est la seule pour laquelle trois grands chefs de guerre se sont personnellement battus : Alexandre le Grand, Genghis Khan et Tamerlan (Amir Timour). Ce dernier a construit un vaste empire au XIVe siècle s’étendant de l’Inde à la Méditerranée et, sous son règne, Samarcande a eu l’honneur d’être la capitale de la puissance mondiale et le centre créatif du monde islamique oriental.
Malgré les nombreuses victimes causées par ses conquêtes, avec les « fameuses » pyramides de cranes empilées devant les villes conquises (pour effrayer ses adversaires), Tamerlan épargnait les commerçants et les savants afin de peupler Samarcande. En parallèle, de nombreux bâtiments administratifs, canaux d’irrigation et jardins ont été construits à son époque dans la ville.
En établissant des relations diplomatiques, commerciales et culturelles tant avec les pays orientaux qu’à l’ouest, Tamerlan a aussi revivifié les routes de la Soie, contribuant à la richesse de la population locale au XIVe et XVe siècle. Les constructions bénéficiaient ainsi de financements abondants et étaient rapidement exécutées au cours de cette période.
A la suite de la découverte des nouvelles routes maritimes contournant l’Afrique par les Portugais à la fin du XVe siècle et de la « découverte » de l’Amérique, Samarcande et sa population entreront toutefois dans une période de déclin du fait de la baisse, en conséquence, du commerce international traversant les routes de la Soie.
Durant cette période, l’accent avait aussi été mis sur le développement de l’éducation scientifique et culturelle à travers la construction de dizaines de médersas (écoles religieuses).
Le développement des sciences se traduisait particulièrement par une meilleure compréhension de l’astronomie, domaine notamment utile pour pouvoir se diriger en plein désert lors des itinéraires commerciaux. Sous le règne de Mirzo Ulugbek, un des petit-fils de Tamerlan, un grand observatoire astronomique mondialement connu a ainsi été construit à Samarcande.
3. L’astronomie : symbole de la quête de connaissance
A l'instar des phéniciens qui utilisaient les étoiles pour se repérer en pleine mer, les caravaniers étaient guidés par un érudit en astronomie pour pouvoir se diriger au cours de leur trajet. La compréhension du mouvement des astres était primordiale puisqu'une erreur de calcul de 1 degré pouvait causer à terme une déviation de 120 km par rapport à la destination prévue, soit 4 à 5 jours de voyage supplémentaires impliquant des coûts financiers et des risques plus élevés.
Ulugbek était reconnu pour son esprit ouvert, son fort intérêt pour les sciences et pour l’astronomie en particulier. Reflet de son état d’esprit, l'inscription suivante a été retrouvée à l’entrée de la "médersa d’Ulugbek" à Boukhara : « Aspiration à la connaissance est le devoir de tous les musulmans et de toutes les musulmanes ». Au cours de la période de la renaissance, environ 60% des savants musulmans connus auraient été issus de la région de l’Ouzbékistan actuel. Parmi les plus renommés, on retrouve notamment Alghorismi, Avicenna et Al-Bukhari.
Ulugbek disposait de la meilleure carte des étoiles de son époque, au XVe siècle, dans laquelle 1018 étoiles étaient répertoriées. Le grand observatoire de Samarcande, dont il est à l'origine de la construction, regroupait plus d’une centaine d’astronomes, de mathématiciens et d’ingénieurs. De nombreux autres savants, penseurs, poètes et artistes ont été formés dans les nombreuses médersas créées sous son règne.
Des domaines aussi variés que les mathématiques, la géographie, l’histoire, les sciences, la médecine, la musique, la logique, la poésie, la comptabilité, la théologie, les Hadith, le droit islamique, la littérature, la sagesse et la langue arabe y étaient enseignés. La bibliothèque de l’époque de Tamerlan a pu ainsi être enrichie par de rares livres sur de nombreux sujets.
D’après le jésuite, moine et scientifique Antuan Gobil (1689-1759), la connaissance en astronomie acquise en Chine à cette époque aurait été transmise depuis Samarcande, reflétant l’importance du travail qui y fut effectué. Ulugbek aurait terminé son oeuvre en 1444 mais, assassiné par son fils en 1449 (à priori pour des raisons d’héritage), la publication finale de ses recherches n'a pu être effectuée.
En vue d'en préserver le contenu, celles-ci auraient été cachées à Istanbul avant d’être retrouvées en 1648 par les Anglais. Ces derniers traduiront les tables astronomiques d’Ulugbek en latin en 1653 avant qu’elles ne soient diffusées à Paris au cours du XVIIIe siècle. Les Russes « rapatrieront » ensuite ces études en Ouzbékistan et lanceront les recherches de son observatoire astronomique qui sera retrouvé à Samarcande.
La communauté scientifique de nos jours a rendu hommage à la ville et à ses penseurs en ayant par exemple nommé "Ulugbek" l’astéroïde n°2439 (assimilable à une planète de petite taille) découvert en 1977. Un des cratères situé sur la Lune porte également son nom.
Samarcande a ainsi connu grandeur et décadence tout au long de sa longue histoire et est aujourd'hui la ville la plus fameuse d'Ouzbékistan. L'architecture des bâtiments religieux, des écoles, des mausolées et autres bâtiments culturels du pays reflètent son riche patrimoine civilisationnel hérité au cours des siècles.